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113.3
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1866
ENTRÉE
DE
FRANÇOIS I
DANS LA VILLE DE BÉZIERS
(BAS-LANGUEDOC)
PUBLIÉE ET ANNOTÉE
ER
PAR
LOUIS DOMAIRON
DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES
v.
CHEZ AU
l'un DBS LIBRAIRES DE LA SC
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M DCGC LXVl
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ENTRÉE
DE
FRANÇOIS I
DANS LA VILLE DE BÉZIERS
( BAS-LANGUEDOC )
ER
Tiré ^200 exemplaires :
180 sur papier vergé fort.
16 — papier chamois.
3 — peau de vélin.
\ — parchemin.
ENTRÉE
DE
FRANÇOIS I
DANS LA VILLE DE BÉZIERS
(BAS-LANGUEDOC)
PUBLIÉE ET ANNOTÉE
ER
PAR
LOUIS DOMAIRON
DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES
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0-JJ '
PARIS
CHEZ AUGUSTE AUBRY
L*UN DES LIBRAIRES DE LA SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES FRANÇOIS
MDCCCLXVI
iit&8
Otîav'ter5.î.
NOTICE
rançois premier , pendant sa capti-
vité à Madrid, avait fait le vœu
^.^^ d'un voyage de dévotion à Notre-
Dame-du-Puy et à Saint-Sernin, de Tou-
louse, s'il obtenait sa délivrance.
Lafaille, dans ses Annales, en parlant du
vœu fait par le roi , s'exprime ainsi :
« François fut donc conduit en Espagne et
« mené à Madrid. Il n'y fut pas longtemps
« sans s'appercevoir que ce qui lui avoit été
« dit en Italie par le vice-roi n'estoit que four-
be berie; car Charles ne le visita , ni ne luy fit
« faire aucune proposition, le tenant toujours
— G —
« dans le château de Madrid, sous une garde
u assez rigoureuse. Ce traitement, qui tenoit
«de l'injure, le jetta dans une si profonde
« mélancolie qu'il en tomba malade, et en
« danger de mort. Ce fut dans ce danger que
<( le roi fit un vœu aux saints dont les rcli-
« ques sont conservées dans la fameuse église
« de Saint-Sernin, de Toulouse, ou il y avoit
« alors beaucoup plus de dévotion qu'il n'y
« en a à présent. Il recouvra sa santé; et la
« piété nous doit porter à croire, comme il le
(c crut luy-méme , que ce fut par l'interces-
« sion de ces saints. »
On croyait que François premier viendrait
à Toulouse pour accomplir son vœu; mais le
péril était passé, et le roi de France, rendu à
la liberté, crut pouvoir faire acquitter ce vœu
par procuration. Voici ce que dit encore à ce
sujet l'annaliste de Toulouse :
ce La régente, qui s'estoit rendue à Rayonne
« avec tous les grands du royaume pour y
« saluer le roy, écrivit une lettre aux Capi-
<c touls, dattée de cette ville-là, par laquelle
(c elle leur fesoit sçavoir que le roi avoit ré-
(c solu de venir à Toulouse pour acquitter le
<c vœu dont j'ay parlé. Le seigneur de Lau-
« trec écrivit aussi sur le même sujet. Ces avis
« furent la matière de plusieurs délibérations
a qui se tinrent dans l'Hôtel-de- Ville pour se
a préparer à bien recevoir le roi et à luy faire
« une entrée dont la magnificence répondît à
la dignité de cette ville. On départyt des
commissaires pour travailler aux prépa-
ratifs. Il y a une délibération entre autres
qu'il sera fait au roy un présent de six figu-
res d'argent en relief des six apôtres, dont
les corps reposent dans l'église de Saint-
Sernin; ce quy avoit rapport au vœu du
roi. Mais peu de temps après les Capitouls
reçurent une seconde lettre de la régente
pour les avertir que le roi avoit changé de
résolution , et qu'il prenoit son chemin
droit à Paris. C'est pourquoy à son départ
de Rayonne il envoya un ordre à Minute
son premier président de Toulouse , de ren-
dre ce vœu à son nom, ce que Minut fit
avec beaucoup de solennité dans l'église de
Saint-Sernin. Entr'autres choses, il offrit
les six gros cierges parsemez de fleurs de
lys d'or qu'on voit suspendus à des barreaux
de fer devant la chapelle du Saint-Esprit;
on peut voir dans les preuves l'inscription
de ce vœu qu'il y a sur un marbre contre
le nom de cette chapelle. »
— 8 —
Cette inscription était ainsi conçue :
AD PEKPETUAM
U K I
MEMORIAM
Franciscus I , Galliarum rex , Madriti CUM
ESSET APUD HOSTES, LETHALI MORBO AFFEC-
TUS, DIVIS QUORUM SACREE RELIQUIiE IN HAC
SANCTISSIMA BASILICA ASSERVANTUR VOTUM
NUNCUPAVERAT, QUOD EX FrANCISCI MANDATO,
REGIIS VICIBUS, CLARISSIMUS VIR JaCOBUS MiNU-
Tius, Senatus Tolosani princeps, adstan-
TIBUS OMNIUM ORDINUM CIVIBUS , RITE PER-
SOLVIT ANNO SALUTIS MDXXV.
Plusieurs années s'écoulèrent sans que
François premier pût s'acquitter du pèleri-
nage qu'il avait projeté de faire à Notre-Dame-
du-Puy. Les troubles que la réforme avait
suscités en Allemagne et en France , et plus
particulièrement le mariage de Henri, duc
d'Orléans, fils du roi_, avec Catherine de Mé-
dicis, nièce de Clément VII, déterminèrent
le voyage du monarque dans le midi de la
France , où il devait avoir une entrevue à
Marseille avec le pape.
François premier partit donc de Fontai-
— 9 —
nebleau au mois d'avril 1 533, et, mettant à
profit cette occasion d'exécuter son projet de
pèlerinage, il s'arrêta à Notre-Dame-du-Puy,
traversa le Rouergue et l'Albigeois, et arriva
à Toulouse , d'oU il continua sa route par le
Bas- Languedoc. On lui fit partout de grandes
fêtes et des présents; l'accueil fut d'autant
plus éclatant que c'était la première fois qu'il
visitait la province.
Les historiens de la ville du Puy, Lafaille,
dans ses Annales de Toulouse; le père Bouges,
dans son Histoire de Carcassonne , le Thalamus de
Narbonney le Thalamus de Montpellier; Ménard,
dans son Histoire de A^wm^^, mentionnent tous à
l'envi le passage du roi dans la province , se
livrent à certains détails des entrées , et men-
tionnent la variété des présents offerts par les
cités joyeuses au monarque voyageur ; mais
leur relation n'est pas complète, et il n'existe
pas de récit spécial et officiel.
L'annaliste de la langue d'oc analyse à son
tour d'une manière très-sommaire les inci-
dents du voyage de François premier, et ren-
voie pour les particularités aux historiens et
chroniqueurs que nous venons de citer. .
Le récit de l'entrée de François premier
dans la ville de Béziers est des plus complets ;
lO
il nous a été conservé par le greffier rédacteur
de la maison consulaire de cette cité. Un ma-
nuscrit en parchemin, format in-4'% conte-
nant divers documents sur l'histoire locale,
et conservé dans les archives de l'Hôtel-de-
Villc, porte en tête la relation de la susdite
entrée.
C'est à un greffier nommé Mercier que
nous sommes redevables des détails vraiment
curieux de tout ce qui se passa dans la ville de
Béziers lorsque le monarque de France vint
prendre gîte dans cette localité. L'écrivain
était parfaitement renseigné, et il raconte avec
un style parfait ce qui se produisit sous ses
yeux. Aucune particularité n'est livrée à
l'oubli. Le personnel de la suite du roi est
mentionné avec une précision remarquable,
quant aux fonctions , charges et dignités de
chaque personnage.
L'écrit que nous allons rapporter, et dont
nous avons collationné le texte avec le plus
grand soin, a besoin d'une analyse complète:
nous allons nous y livrer. Certaines notes
nous ont paru nécessaires pour la lecture du
texte ; nous les fournirons au fur et à mesure
de la transcription.
L'écrivain Mercier, en tête de sa relation,
— II —
place la liste de tous ceux qui accompagnaient
François premier dans son voyage dans le
midi de la France. L'énumération de la suite
royale est des plus précises ; elle est ainsi indi-
quée :
1° Le roy très crestien François, premier
de ce nom, filz de feu monseigneur Jehan,
duc d'Angomoys et Poytou , issu de la vraie
progéniture du feu bon roy Charles cin-
quiesme et de madame Loyse de Savoie.
2" Madame Aliénor d'Espaigne, sa com-
paigne, royne de France, seur de Charles cin-
quiesme, empereur et roy des Espaignes.
3° Les très illustres et très excellens susten-
teurs de la foy François de Valoys, daulphin
de Viennoys , duc de Bretaigne ; Charles de
Valoys, duc d'Orléans ; Loys de Valoys, duc
d'Angolesme et de Poytou , et mesdames Ma-
deleine et Loyse, tous cinq fils et filles du
roy.
4° Le roy de Navarre , mari de Marguerite
de France. — Le chroniqueur de Béziers fait
observer que cette princesse ne suivit point
la cour par suite de son état de grossesse.
5° Le duc de Vendôme.
6° Le comte de Saint- Fol.
7° Le comte de Nevers.
— 12
8° Leduc de Longucville.
9° Le marquis de Kothclin.
i(/' Le duc de Nemours, et autres princes
du sang royal.
II" Monseigneur Antoine du Prat, arche-
vêque de Sens, légat et chancelier de France.
12"^ Le cardinal de Lorraine, Tarchevéque
de Narbonne, le maréchal de Montmorency,
Charles de Genoilhac, grand maître de l'artil-
lerie; le seigneur de Barbezieux et plusieurs
autres gros seigneurs.
Parmi les dames de la suite le greffier
Mercier signale la duchesse de Vendôme, la
comtesse de Nevers, la grande maîtresse,
fille de feu le bâtard de Savoye, la maréchale
de Châtillon, madame de Roye.
Après cette nomenclature assez étendue, le
narrateur fait la remarque suivante : Lesquels
princes et princesses ^ seigneurs et dames, menoyent
quant à eux grand nombre- de gros seigneurs et evcs-
ques, dames et damoy selles , que je laijsse à réciter pour
obvier prolexité.
Depuis la visite de Charles VI dans le
midi de la France , aucun monarque n'avait
mis ses pieds sur la terre de la langue d'oc ;
aussi l'apparition de François premier dans
— i3 —
cette plantureuse contrée donna lieu à une
ovation continue.
Le roi de France partit le 26 juin i533;
son itinéraire est parfaitement tracé par l'an-
naliste Biterrois. La cour devait stationner
dans les villes suivantes : Le Puy, Rodez,
Alby, Toulouse, Garcassonne, Narbonne,
Béziers, Montpellier, Nîmes, Aigues-Mortes,
Avignon et Marseille.
Le but du voyage est précisé : le roi de-
vait se rendre à Marseille , en Provence , pour
recueillir le pappe Clément septiestne pour alcuns ar-
dueux affaires concernans l^ augmentation de la foy,
thuition de l'église militante, et le bien universel du
royaulme,paix et tranquillité des subjects du dit seigneur,
La route de Lyon au Puy étant trop mon-
tueuse, le cortège royal se divisa en deux
fractions à partir de Lyon. Le roi gagna, avec
partie des grands seigneurs, les montagnes du
Velay, et la reine , avec ses dames , se dirigea
vers les plaines du pays de la langue d'oc. Des
messages particuliers avertirent les popula-
tions sur ce nouvel ordre de marche.
Le vingt-cinq juillet la reine, avec sa suite
particulière , arriva à Béziers, et alla loger,
sans démonstration publique, dans l'hôtel
épiscopal. Tout le cérémonial de l'entrée ne
— 14 —
devait avoir lieu qu'au retour de Leurs Ma-
jestés ; aussi, après une station de vingt-quatre
heures , la reine poursuivit son chemin pour
aller rejoindre le roi à Toulouse. La reine
reçut présent et don defruicts et confitures, tant cuHliz
en ce pays que aulx Espaignes à grand largesse et
abundance, par plus de troys charges , lesquelles furent
moult gracieusement acceptez.
Le vingt-six août, un courrier annonça aux
consuls de Béziers la venue prochaine du roi,
et qu'on pouvait se livrer aux préparatifs de
l'entrée. Les honneurs furent seuls réservés
pour le roi et la reine; le dauphin fut seul
excepté du programme pour obvier aux grands
fraiz et mises.
Ce message excita la sollicitude des gouver-
neurs de la cité de Béziers. Vingt-deux hom-
mes furent préposés pour nitîier et préparer mai-
sons et rues; les bons vins de la \iIIq furent visités
et retenus» On fit atmenQr foings et avoines et aultres
vivres nécessaires pour la suite dudit seigneur. La
ville et le diocèse s'imposa une cotisation de
trois mille livres pour les présents^ pavilhons,
arcs triumphans et aultres fraiz nécessaires. On im-
provisa une milice de trois cent soixante-huit
hommes, qui serait abillée et acoutrée de livrée du
roy.
— i5 —
La présence du roi était impatiemment at-
tendue ; les apprêts de l'entrée avaient reçu
leur dernier complément, lorsque messire
Anne de Montmorency, maréchal de France
et gouverneur pour le roi en Languedoc , se
présenta le lo août devant la tête du pont
d'Orb, non loin de la Maladrerie, aux avenues
du chemin de Capestang. Ce haut dignitaire
fut reçu avec tous les honneurs dus à son
rang.
Le gouverneur de la province précéda la
venue du roi et de sa suite, et vint s'assurer
si les honneurs réservés au monarque étaient
dignes du royal visiteur- Entrons dans le dé-
tail des chafaudSj pavillons et devises, qui déco-
raient la porte de ville, dite du pont.
Un arc de triomphe était placé à l'entrée
delà porte. Cet arc était affecté à l'entrée du
roi. A côté de la porte et de l'arc, on avait si-
mulé une montage élevée et peinte de verdure, sur
laquelle figuraient trois blasons : les armes du
roi , celles de Languedoc , et celles de Be-
ziers.
Au-dessous de l'écusson royal, il y avait un
cœur traversé d'une lettre F, d'or, qui avait
pour emblème de représenter le cœur de la
France; l'écusson de Languedoc avait un
— i6 —
cœur percé de la lettre L , et l'c'cusson de Bé-
zicrs de la lettre B.
Au plus haut de la montagne, on avait in-
tercalé une devise, qui était suivie d'un dicton
en rime Françoise. Cette poésie était un hom-
mage rendu à Montmorency, dont le nom
était découpé en style de calembour. Les
armes du roi, de la reine, et du gouverneur
de Languedoc, figuraient avec éclat sur le
Mont d'amour moranî cy.
Les consuls firent , suivant l'usage de
l'époque, présent d'une quantité de vaisselle
en vermeil à Anne de Montmorency, qui
promit aux gouverneurs de la cité son in-
tervention pour faire opérer à la localité les
embellissements réclamés avec instance par la
population.
Ce ne fut que le i3 août, dans l'après-midi,
que François L"" arriva aux approches de la
porte du pont. Le seigneur de Sorgues, capi-
taine des enfants de la ville, marchait en tête
du cortège qui allait au devant du roi. il était
suivi des gouverneurs de la cité, des nobles
du diocèse, des officiers de justice, et d'un
grand concours de personnages de robe et
d'épée.
La description des costumes, la marche et
— 17 —
les allures de la milice improvisée, les noms
des seigneurs, rien n'est omis. Le récit prend
de l'animation de plus en plus sous la plume
du greffier de la maison consulaire.
Le juge mage, M'^ De Puymisson, harangue
le roi; le capitaine de Sorgues, au grand con-
tentement de Sa Majesté, fait faire des évolu-
tions à la troupe sous ses ordres; les feux
de mousqueterie se prolongent; la population
enthousiaste fait retentir les airs de mille cris.
Depuis le moment où le maréchal de Mont-
morency a quitté les murs de Béziers, la dé-
coration de la porte du pont a été totalement
changée.
Un grand arc de triomphe, dont le faîte était
supporté sur des colonnes carrées, avec corni-
ches à l'antique, paint à porphires et jaspes^ por-
tait au sommet l'écusson royal, dans un grand
feston, fait avec des branches de grenadier.
Au-dessous se trouvaient les armes de la reine
et celles du dauphin et de monseigneur d'Or-
léans. Force devises symboliques étaient je-
tées çà et là, avec de grandes rimes à la devise
du roi et de la reine. Par une courtoisie de
bon aloi, les enfants de France étaient dans
un ^/cfo/z de neuf vers, placés sous l'aile ma-
ternelle d'Aliénor d'Espagne.
— i8 —
Sur Varc triomphant, et à une certaine éléva-
tion, il y avait, dit le narrateur, chajjaull en forme
d'une tour dressée par géométrie, aysé à lever et des-
cendre par subtil artifice , et de draps d'or et de soye
de diverses colleurs , à V aspect et forme du ciel, riche-
ment aourné, sur lequel y estoient trois jeunes filles en
beauté naturelle superlatives, et de accoutrement à la
Toscane , soigneusement décorées et enquores de conte-
nence mieux exquises ; plus déesses ou espéritz angé-
liques que corps féminins, par leur resplandicente for-
mosité et maintien non accoutumé aux yeulx humains,
et des assistans adjugées. On le voit, le narrateur
Mercier fait de la poésie dans ses descrip-
tions.
Ces trois personnages allégoriques représen-
taient la ville de Beziers, l'Obéissance et la Loyauté.
A l'approche du roi, un ressort mécanique fit
descendre la tour, et l'accès de la porte du
pont fut totalement intercepté. Les trois
jeunes beautés s'avancèrent vers le roi , lequel,
transpassé du veiz attractif et regard plus qu'humain
dHcelles, demi ravi, pensant ce estre pluS'Ung songe
que chose naturelle, soudainement se arresta et sa
troppe.
Les jeunes filles présentèrent les clés de la
ville à François I^^ et de leurs si très- déliés
goziers, et voix sereines lui prononcèrent trois
— 19 —
couplets élogieux. Le poêle d'honneur fut
placé devant le roi; dès ce moment le cortège
se mit en marche vers le centre de la ville
aux acclamations les plus sympathiques. On
atteignit la place de la Trinité, aujourd'hui
Saint-Sauveur. Là le haut clergé, précédé de
l'évêque, présenta ses hommages respectueux
au monarque, qui alla prendre gîte dans le
palais épiscopal.
Le programme de l'entrée avait subi la
moitié de ses prescriptions. La reine fut reçue
également à la porte du pont, et tout le cor-
tège se dirigea de nouveau vers le chemin de
Capestang. La reine et les filles du roi furent
placées sous un poêle d'une autre structure
et d'une autre couleur. La mousquetetie re-
doubla ses salves , la population ses cris d'al-
légresse, et le roi estoiî aux fenestres de la maison
episcopallCy qui véisî le desduit de Ventrée^ et rentrer
dans ladite ville le seigneur de Sorgues et gens de
pied merchant en très bon ordre : où le dit seigneur print
grand plaisir.
A l'entrée de la nuit, les consuls présen-
tèrent au roi, à la reine et aux enfants de
France des fruits et confictures^ tant d'Espaigne que
de ce pays^ à grans abundance^ et de bons vins mus-
cats et cleretz.
— 20 —
Le Icrulcmain, quatorze août, au matin, les
consuls, suivis de beaucoup de bourgeois et de
marchands, firent au roi, à la reine et aux
enfants de France, des présents magnifiques,
consistant en coupes en vermeil, ornées de
rubis, perles et autres pierres précieuses,
taillées et poussées en forme de fleurs de Ijs. La mu-
nificence de la cité fidèle s'étendit même jus-
qu'aux personnages les plus influents et les
mieux titrés de la suite du roi.
La relation que le greffier de la maison
consulaire de Béziers nous a laissée sur l'en-
trée de François L' dans cette ville au bas de
la langue d'oc est remarquable sous bien des
rapports; elle nous initie à une foule de dé-
tails, dont nous allons préciser les principaux.
Durant le XV I^ siècle, Torfévrerie fut en
grand honneur; elle était regardée comme
l'apanage de la nobljsse et de la royauté.
L'influence du cardin.il d'Amboise sur les
arts survécut au règn-^ de Louis XII et dé-
termina le caractère du rè^ne de François P'".
Ce prince, neveu du duc Charles d'Orléans,
et fils de Jean, comte d'Angoulême, avait été
à bonne école pour se faire dès l'enfance une
ardente préoccupation des arts et de tout ce
qui est l'éclat c^ la grandeur des rois. Il était
naturellement généreux, et il comprenait
d'instinct les choses de luxe et de magnifi-
cence. Comme Georges d'Amboise, comme
Louis XII , il appela d'Italie les grands ar-
tistes , qu'il désirait employer, pour ainsi
dire, à la décoration de son trône.
Suivant les habitudes de l'époque, Fran-
çois I^% dans son voyage de la langue d'oc,
reçut en ouvrages d'orfèvrerie des objets dits
de grosserie , consistant surtout en vaisselle
plate, argent et vermeil. Ces objets venaient
des fabriques de Toulouse et de Montpellier,
alors en grand renom artistique. En général,
les relations ne nous ont conservé, par
malheur, que le prix de ces présents.
Dans rénumération des présents faits au
gouverneur Anne de Montmorency, le gref-
fier Mercier entre dans quelques détails et
signale :
Ung grand plat d'argent surdouré, et deux belles
coppes, desquelles l'une esîoytfaicte en couverte^ toutes
surdourées richement, lesquelles estaient de valeur de
500 livres.
Les présents faits au roi consistaient :
En une coppe d'argent surdourée^ au dedans de
laquelle y avolt ung salinier duquel le creux et le couvert
estoitde crestail^ le pied et aultre garniture d'or, fort mer-
— 22 —
veilleusement ouvré, et garni et aourné tout à l'entoury
et par-dessus le couvercle et au milieu du pied, de saf-
Jirs^ rubis j perles et aultres pierreries taillées et poussées
en forme de fleurs de lys.
Ceux de la reine sont ainsi décrits :
Vn bassin et deux coppes d'argent surdouréz.
A la grand-maîtresse, épouse d'Anne Mont-
morency :
Deux coppes d'argent surdourées.
Le coût de ces magnifiques cadeaux, par
suite d'une lacune devant indiquer le chiffre,
est laisse en blanc dans le manuscrit.
Les devises, les couleurs et les emblèmes
furent en grande vogue à la cour de
Charles VH. C'est à cette époque que Sicille,
hérault d'armes du roi Alphonse d'Aragon, ré-
digea son célèbre Blason des couleurs , où Ton
apprend que l'or ou le jaune signifiait : ri-
ohesse; le rouge : supériorité; le noir : simplicité; le
vert :joie-j le pourpre : abondance; l'argent ou
le blanc : pureté (i).
Ces mêmescouleurs étaient expliquées d'une
autre façon, et leur symbolisme varia com-
plètement au seizième siècle. L'art du blason,
qui réglait l'ordonnance des couleurs ou li-
(i) Voy. nouvelle édition publiée par Hipp. Cocheris. Paris,
Aubry, 1860.
~ 23 —
vrées, faisait aussi dans ses attributions les
emblèmes et les devises, langage mystique et
sacramentel à l'usage des nobles et vertueux.
Les pièces des armoiries n'étaient que des
emblèmes; les devises servaient à l'interpréta-
tion de ces emblèmes. Sous le règne de
Charles VIT, tout fut emblématisé, moralisé,
allégorisé. C'était une mode qui s'étendait
aux choses les moins susceptibles de la pren-
dre. La peinture et la sculpture, la poésie et la
science, la religion et la morale, ne parlaient
aux esprits et aux yeux que par des images.
Ces traditions étaient dans toute leur plé-
nitude d'activité au XVI^ siècle. Le greffier
Mercier nous donne quelques annotations à
cet égard.
Quant au blason, nous trouvons les lignes
suivantes touchant le costume allégorique
des trois personnages représentant la ville de
BezierSy l'Obéissance et la Loyauté :
<c Desquelles icelle du milieu représentoit
(( la ville de Beziers vestue d'ung satin jaune
acier citrin, et plus apparent entre les coi-
te leurs, comme l'or entre les métaux, et le
« soleil entre les corps célestes, et la socie,
(c vulgairement dite le gauch, entre les fleurs;
« laquelle colleur jaulne, selon la blazon des
— 24 —
« colleurs, en vertus signifie sapiancc, richesse
« et magnanimité, et en humanité et amours,
«signifie jouissance, prudence et haultesse;
« et pour la porter en livrée le bleu et le blanc
« y sont sur toutes aultres colleurs mieux
<c séantz, signifiant humble et loyal jouissant.
« La seconde fille, qui cstoit à la main droicte,
a estoit nommée Obéissance, vesteue de satin
« blanc, blanche colleur et commencement de
(c beaulté et joye, et comparée à la lune, et des
" métaulx à l'argent, et des pierres précieuses
(( au diamant et à la marguerite, et des fleurs
<( au lys et à la rose, et signifie la personne
« juste, humble, joyeulx, large et chaste.
« La tierce fille, qu'estoit à la main gauche,
(( estoit nommée Loyaulté, vestue de satin bleu
« turquin, qu'est colleur moyenne entre Peau
« et l'air, et ressemble au ciel, en pierreries
(( au safir, en fleurs aulx ambesfoins et ne me
(c oblie mie, en métaulx à Pestaing , et en
(c vertus et amours signifie bonté, cortoisie,
(C louyaulté et amitié.
<( Or donc, approuchant le roy et sa suyte
(C de la dicte porte et arc triumphant, enrichy
« de ses trois médailles superlatives aournées
(( de trois colleurs susdites, blanc, jaune, bleu,
<c dénotans que Beziers , par obeyssance, de-
— 25 —
(c meure en la prison d'amour au lys de
(c France , depuis Glovis I^"", roy créstien , et
<( que à présent par loyauté avoit-ellela jouys-
(c sance et fruyssioii de la présence de son
« prince et naturel seigneur »
On vient de le voir encore, le greffier de la
maison consulaire de la ville de Béziers con-
naissait parfaitement le blason du XV I^ siècle,
et ses réflexions ne pouvaient pas être plus
précises.
Les couleurs de l'étoffe du poêle sous lequel
François P"" fit son entrée dans Béziers
étaient de velours rouge doublé de taffetas
bleu et parsemé de fleurs de lis d'or, avec
frange de même.
Le poêle sous lequel la reine Aliénor entra
en ville était en satin blanc doublé de taffetas
bleu et semé de fleurs de lis d'or. A chaque
carré du poêle on remarquait,dans un écusson ,
les armes de France et d'Espagne mi-parties.
Lors de la réception du maréchal de Mont-
morency, le costume du seigneur de Sorgues,
capitaine des enfants de la ville, était de ve-
lours de livrée, divisé en carrés de diverses
couleurs, et par-dessous doublé de toile d'or.
Les quatre gaillards qui marchaient sous ses
ordres étaient accoutrés de même.
Lors de rentrée du roi, le costume du sei-
gneurs de Sorgueset de ses compagnons avait
totalement changé; voici ce qu'en dit la rela-
tion du greffier Mercier ;
« Premièrement marchoit le seigneur de
« Sorgues, cappitaine des enfants de la ville,
« accoutre bravement de velours aux colleurs
« de roy : jaulne, violet et incarnat, fort dé-
« couppé, chausses et porpoint,et le tout doblé
« de drap d'or et le collet de mesmes, en cap-
ce pitaine de avanturiers; auprès duquel, et le
(c suyvant cinq à cinq, marchoient trente ou
« plus gaillards hommes en avanturiers vestus
«tous de velours echiquettés, chausses, por-
te point et coulet, et une grosse chaîne d'or au
« col, chescun portant une espée à deux mains ;
« et quant et quant marchoient cent avantu-
<( riers accabuziers , tous accoutrés de velours
a ou de livrée des colleurs du roy. »
Quant aux devises et à la poésie qui ser-
vaientd'ornement aux arcs de triomphe, il faut
lire attentivement la relation du greffier con-
sulaire pour avoir une idée de la poétique de
l'époque et du langage hyperbolique qui en
faisait l'essence.
Les muses locales ne furent ni oisives ni
silencieuses à raison de l'entrée de Fran-
— 27 —
cois I«^, à qui mieux mieux chacun vint ap-
porter sur tribut. Certains dictons, certaines
devises, certains emblèmes, ne furent point
accueillis par les administrateurs de la cité.
Le narrateur Mercier a eu le soin de trans-
mettre à la postérité les rimes qui ne furent
point acceptées, à la contrariété y dit-il, de certains
habitans. Il fait observer : i° que l'on voulait
dresser nng séjour d^honneur, auquel eussent esté deux
dames, Vune nommée Humilité, et Vaultre République;
ung jeune enfant leur frère, nommé Bon Voloir, qui à
la requeste de ses sœurs eust présenté le séjour de hon-
neurs au roy;
2" Que pareillement à la place vouloit-on
dresser ung arbre nommé de bonne renommée,
CHARGÉ DE LYS, et au plus haut les armes de France,
et au piedseriont assit deux dames : foy et justice;
et un peu avant le dict arbre y seriont deux aultres dames :
HONNEUR et vertu;
3° Enfin que l'on voulait dresser ung chafault
auprès de l'arc de la Trinité, au plain de la grande
esglise, et dans icelluy mettre douze bergiers et autant de
jeunes berjerettes acoutrées de taffetas , portans oletîes
et panetières, dansans les ungs au son des orgues et
musetes, et les aultres chantans motets en orgues et
par accord.
Le style du greffier Mercier est imagé,
— 28 —
correct, et a toutes les qualités de la vraie nar-
ration. Dans toute la langue d'oc aucun con-
temporain ne s'est livré à un récit aussi ac-
centué, aussi chargé de détails. Comme page
écrite, valeur du XV!*^ siècle, la relation de
l'entrée de François I^-^dans la ville de Béziers
est digne du plus haut intérêt.
L. D.
Entrée du roy Françoys, premier de ce nom,
ET DE MADAME ALIÉNOR d'ESPAIGNE , SEUR DE
Charles cinquiesme, empereur et roy des
espaignes, royne de france, et de monsei-
gneur de montmorancy, grand maistre et
maréchal de france, faicte en la ville de
BeZIERS EN l'an MDXXXIII (l), ESTANS CONSU'i
égrèges et vénérables personnes maistre
Pierre de Pradines, docteur ez-droits_, et
Jacques du Soustre , merchant; François
Bernete pour mazelliers (2), Arnauld Se-
NAULT, laboureur, ET PlERRE JOUGLAR, SABA-
TIER (3).
E ROY TRES CRESTiEN Françoys, premier
;de ce nom, filz de feu monseigneur
_^^^7 Jehan, duc d'Angomoys et Poytou,
issu de la vraie progéniture du feu bon roy Charles
(i) Mil cinq cent trente trois.
(2) Mazelliers, bouchers.
(3) Sabatier, cordonnier.
— 3o —
cinquicsmc et de madame Loyse de Savoye ,
en son vivant régente en France, estant en sa
bonne ville de Lyon , au moys de jung mil cinq
cens trente trois , en compagnie de très haulte ,
très illustre et très excellente dame madame Aliéner
d'Espaigne , sa compaigne , royne de France ,
seur de Charles cinquiesme, empereur et roy des
Espaignes, et de très hauts, très illustres, et très
excellents sustenteurs de lafoy François de Valoys,
daulphin de Viennoys, duc de Bretaigne; Charles
de Valoys, duc d'Orléans; Loys de Valoys, duc
d'Angolesme et de Poytou, et de mesdames Magda-
lene et Loyse, tous cinq fils et filles du dict roy
nostre dict seigneur et de feue madame Claude de
France, en son vivant compaigne du dict sei-
gneur, fille du bon feu roy Loys douziesme et de
Madame Agnès de Bretaigne ; la court duquel
prince et royne et de messieurs ses enfants suy-
voient Charles (i) roy de Navarre, conte de Foys,
Comenge et Armagnac, mari de très illustre et
haulte dame madame Marguerite de France, du-
chesse d'Alenson et Berry, seur du roy (laquelle
dame ne suyvist point la court, pour ce que de-
(i) Henri, et non Charles d'Albret, roi de Navarre, épousa en
1526 Marguerite, sœur de François I".
— 3i — .
meura ensainte à Paris), monseigneur le duc de
Vendosme, le comte de Saint-Pol, son frère le
comte de Nevers, duc de Longueville, marquis de
Rothelin, duc de Nemours_, et aultres princes du
sang royal; monseigneur révérendissime Antoine
Du Prat, arcevesque de Sens_, légat et chancellier
en France; monseigneur révérendissime cardinal
de Lorrayne, arcevesque deNarbone; monseigneur
de Montmorancy, grand maistre et mareschal de
France, et gouverneur du pays du Lenguedoc;
monseigneur Charles de Genoillac, dit Galiot, grand
escuyer et maistre de l'artillerie; le seigneur de
Barbescenx, et plusieurs gros seigneurs et dames,
comme la duchesse de Vendosme, et comtesse de
Nevers ; madame la grand maîtresse, fille de feu
monseigneur le Bastard de Savoye, en son vivant
grand maistre en France; madame la maréchalle de
Chastillon, seur du dict monseigneur de Montmo-
rancy, grand maistre et gouverneur, et madame de
Roye sa fille, femme à monseigneur de Roye,
nepveu du révérend père en dieu messire An-
thoine du Boys, fils unique de feu monseigneur de
Cordes en Picardie, evesque de Beziers; lesquels
princes et princesses, seigneurs et dames, menoyent
quant à eux grand nombre de gros seigneurs et
evesques, dames et damoiselles, que je laysse à ré-
citer pour obvier prolexité.
— 32 —
Print le dit seigneur délibération de visiter son
bon pays de Lenguedoc, auquel ne avoit eu roy de
France qui y cust faict entrée dès Pan miiixxxix
et le vingtiesme de novembre, que le roi Charles
sizieme visa (i) lors le dict pays de Lenguedoc.
El pour ce faire le dict seigneur arresta partir de
Lyon le lendemain de la sainct Jean XXVP de
jung, et prandre le chemin du Puy, et de là à
Tholose, et après par le pays de Lenguedoc à Car-
cassonne, Narbonne, Beziers^ Montpellierj Aiguës
Mortes, Nismes, et de là en Avignon et à Marseille
en Provence, pour recueillir le pappe Clément sep-
tiesme pour alcuns ardueux affaires concemans l'aug-
mentation de la foy, thuition de l'église militante,
et le bien universel du royaulme, paix et tranquil-
lité des subjects du dit seigneur.
Toutes foys, à cause que le dict seigneur vou -
loit passer par la ville du Puy, pour le vœj qu'il
avoit faict en Nostre Dame en la dicte ville, et que
le dit pays est en montaigne, où les charriors de la
royne et dames ne pouvoient passer, au dict Lvon
fust faite despartie (2) : c'est que le roy prinst le
chemin du Puy, Rodez et Alby, pour soy rendre à
Tholose, et la royne, ensemble les dictes dames.
(i) visa pour visita.
(2) Despartie, séparation.
— 33 —
vint par le pays du Daulphiné et bas Lenguedoc,
et pour ce mon dict seigneur le grand maistre gou-
verneur de Lenguedoc, et monsieur Jehan de Pon-
chier, chevalier, général de Lenguedoc (i),escrip-
virent lettres à toutes les bonnes villes du dict pays
de Lenguedoc.
Le viNGT-ciNQUiESME jour du moys de juillet, la
royne et mesdames les filles du roy, accompaignées
des dames dessus nommées, entrarent dans la dite
ville de Beziers, et feust lougée à la maison de Pa-
vesque, et ne luy feust point pour lors faicte entrée
suyvant le commandement du roy, en attendant le
retourn qu'ils faisoient ensemble auretourn deTho-
lose. La ville de Beziers feist à la royne et mes-
dames filles de France présent et don de fruicts et
confitures tant cuilliz en ce pays que aulx Espaignes
à grand largesse et abundance, par plus de troys
charges, lesquel furent moult gracieusement ac-
ceptez; et le lendemain XXVI^ du dict moys de
juillet partirent de la dicte ville pour s'en aller à
Tholose trouver le roy.
Le XXVI^ d'aoust, messieurs les consuls du dit
Beziers, par ung chevaucheur (2) de l'escurie du
roy reçurent lettres missives de monseigneur le grand
(i) Jean de Ponchier, général des finances en Languedoc.
(2) Chevaucheur ou chevauchier, ècuyery courrier,
5
- 34 -
maistrc, et de monseigneur le général, les en ad-
vcriissant de la dicte venue du roy, et qu'on lui ap-
prcstàt et à la royne de leur faire l'entrée requise ,
et si escripvirent que, pour obvier aulx grands frais
et mises, monseigneur le Daulphin ne feroit point
d'entrée ez-villes de Languedoc, fors que en la ville
deTholose.
Le dict mesme jour, les dits messieurs consuls
de Beziers assemblarent en la salle basse de la
maison commune monseigneur pierre d'Amoye,
docteur ez-droits, seigneur d'Amoye et Avene, lieu-
tenant de monseigneur le seneschal de Carcas-
sonne ; monseigneur Jehan de Murviel, viguier du
dict Beziers, et en plusieurs habitants de la dite
ville, pour adviser et comploter de ce qu'il estoit
nécessaire pour la dite entrée; et par délibération
du dict conseil feust conclu que l'on manderoit les
diocésains pour aider et subvenir aux frais néces-
saires ; et oultre furent commis XXII hommes, c'est
deux pour chacun bourg, à faire nittier (i) et pré-
parer les maisons et ruels, chescung en son endroit;
furent députés commissaires à faire amener foings
et avoines et aultres vivres nécessaires pour la suite
du dict seigneur; visités et retenus tous les bons
vins de la ville ; et après assemblés les diocésains
(i) Nittier ou nettéïer, rendre propre^ nettoyer. (Roquefort.)
— 35 —
par-devant messieurs les officiers ; feurent mizes et
cotisées sus la ville et diocèse pour les présens, pa-
vilhons, arcs triumphans et aultres fraiz néces-
saires, troys mille livres; et oultre que chesque
ville et villaige du dict dioceze feroit ung homme
par feu, abillé et acoutré de livrée du roy, ou de
la royne , ou de monseigneur le grand maistre ;
que sont en somme IIF. LXVIII (i) hommes, oul-
tre ceux hommes de livrée que les habitans ayzés
de la ville feroient pour leur plaisir.
Asprés conséquemment, feurent receues plusieurs
lettres missives par messieurs les consuls journelle-
ment, de la venue du Roy, escriptes à Tholose
tant par mes dicts seigneurs les grand maistre et gé-
néral que par monseigneur de Clermont de Lodève,
lieutenant pour le roy, et de mon dict seigneur le
gouverneur au dict pays de Lenguedoc, auquel sei-
gneur de Clermont le Roy, lors estant à Lyon, avait
donné l'office de seneschal de Carcassonne et Be-
ziers vaccant par letrespas de miessire Jehan de Le-
vis, chevalier et baron de Mirapoix.
Le Xe dudict moys d'aoust mil cinq cens trente-
troys entra dans la ville de Beziers messire Anne de
Montmorency, premier baron de France, chevalier
de l'ordre, comte de Beaulmont en Picardie, grand
(i) Trois cent soixante-huit.
— 36 —
maistre et mareschal de France et gouverneur pour
le Roy en Lenguedoc, auquel , pour raison de son
gouvernement, messieurs les officiers, consulz et
habitans firent entrée ; et le allarent quérir à cheval,
en nombre de cinquante ou soixante hommes ache-
vai , messieurs les consulz , pourtant leurs robes et
chaperons de livrée du consulat, et leurs trompettes
au devant avecque cinq enseignes de gens de pied
en nombre de cinq cens hommes, tous piquiers (i)
ou acabusiers, et abillés la plus grand part de la li-
vrée de mon dict seigneur le grand maistre, et estoyt
le capitaine le seigneur de Sorgue Pierre Boyé, en-
fant de la dicte ville, qui estoit richement acoutré
de velours de livrée, eschiquetté (2) et pardessoubs
doblé de toyle d'or, et auprès de luy avoit environ
trente gaillards hommes, enfans de la ville, tous
accoutrés de velours eschiquetté de mesmes, pour-
tans espées à deux mains ; lequel seigneur ils trou-
varent à un gest d'arbaleste par-dessus la ladre-
rie (5) venent le chemin de Capestang et le salua-
rent triumphantement à gros coups de accabutz (4^,
(1) Piquiers, portant des piquts. — Acabusiers, portant ar-
quebuse.
(2) Eschiquetté, d'msè en carrés de diverses couleurs.
(3) La ladrerie, aujourd'hui maladrerie, à peu de distance de
la ville.
(4) Accabuts , arquebuses.
-37-
et après que le dict seigneur eust veu marcher toute
la dicte bande (où il print grand plaisir), se approu-
charent de luy messieurs les viguier et juge, et
consulz et aultres habitans, et là saluarent le dict
seigneur honnorablement, et luy feust faicte la aran-
gue par maistre Jacques de Puymisson, juge pour
le Roy, et ainsi le conduirent (2) jusques à la porte
de la ville appellée du pont, où il feust salué à gros
coups de gros canons. Audevant de laquelle porte
l'on avoit dressé ung arc triumphant pour l'entrée
du Roy, et au cousté des dicls porte et arc
triumphant avoit-on faict une montaigne ellevée
et paincte de verdure en laquelle y estoient af-
fixés troys armes : c'est les armes de France
qui estoient les plus haultes ; et au-dessous les
armes de Lenguedoc ; c'est troys lengues d'or,
assises sur champ d'azur, et les armes de la ville de
Beziers (3); et audessoubs de chescunes des dictes
armes il y avait ung cueur(i) traversé d'une let-
tre F d'or, signifiant le cueur de France; audessoubs
les armes de Lenguedoc un cueur parsé de une let-
(i) Conduirent pour conduisirent.
(2) Les armes de Béziers étaient d'argent à trois fasces de
gueules , au chef de France ; l'écu accolé de deux palmes de
sinople , liées du champ.
(î) Cueur ou cuer, cœur.
— 38 —
tre L d'or, signifiant Lenguedoc;et audessoubs des
armes de la dicte ville ung cueur iransversé de une
lettre B d'or, signifiant le cueur de Beziers; et au
plus hault de la montaigne , y avoit un diction où
estoit escript en lettre ytalienne ce que s'ensuyt :
Pro monte est Catho cordatus; et pour mieulx enten-
dre la signification des dicts mont, armes et cueurs
y affixésàla louange dudict seigneur grand maistre
et gouverneur, à chescun desquels cartiers du dict
mont y avoyt ung dicton en ryme françoise des
teneurs suyvantes.
PREMIER DICTON.
Caton Romain , des vertus l'exemplaire ,
Cordatus dit par vray dérivation ,
En ce mont cy, bien monstre sa lumière,
Car troys corps tient, de France en union.
De Languedoc, Beziers; si te prion
Que en contre toutz soys notre protecteur.
Car je me mets en la protection
De toy, maistre des Gaules gouverneur.
SECOND DICTON.
Voyci le mont d'amour morant cy,
Le vray donjon d'honneur et de prouesse;
Voici le mont que va morant ainsi ,
Pour soubstenir de France la noblesse;
A toy patron, où l'on doyt prendre adresse,
Béziers s'adresse , comme vray conducteur,
-39-
Toi requérant , que nul vi ( i ) ne le blesse ,
Car on confesse t'estre bon gouverneur.
Et au-dessus de la cornice de l'arc triumphant
de la dite porte , y estoient en grands festons de
Buysset, aournés de colleurs nécessaires , les armes
du Roy au milieu, et à chesque bot les armes de la
Royne; et à chescune des dictes armes pendoit un
aultre grand feston de mesme, aourné des colleurs
du dict seigneur le grand maistre, et dans iceuxles
armes du dict seigneur, démonstrant qu'après la fi-
dellité que les Bicterriens avoyent au Roy et co-
rone de France, leur espoir tout il dépendoit de l'o-
pitulation et suffragance qu'ils ont en la faveur et
ayde du dict seigneur grand maistre, gouverneur.
Et est à noter que au dict seigneur ne feust donné
ni présenté le poyle d'honneur que l'on dict, en
nostre commun lengaige, pavilhon ; pour ce que par
aulcuns domestiques d'iceluy seigneur messieurs les
consulz furent advertis que l'intencion du dict sei-
gneur n'estoit le accepter, et que en plusieurs
aultres villes de Lenguedoc le lui avoit on présenté,
et il refusé avoit. Et ainsi entrèrent en la ville, la-
quelle estoit tendeue par-dessus de draps et toylles,
et tapicée des coustés ; et le long des reues pen-
doyent plusieurs festons de Buysset aulx armes du
(i) V\, force.
— 40 —
dict seigneur, et le accompagnarent jusqu'à son lo-
gis chez le seigneur de Sorgues, en la compagnie
duquel estoyent monseigneur Jehan de Ponchier,
chevalier, général de Lenguedoc; monseigneur Du-
verny, maistres des requesies de l'hostel du Koy, et
plusieurs aultres gens du conseil du Roy et des fi-
nances; et tout justement que le dict seigneur feust
lougé, les messeigneurs consuls ly envoyèrenr des
vins de la ville, blancs et aultres, en abondance , et
offrirent fruicts, come pesches, poyres, prunes, dats,
raysins muscats et confitures d'Espaignes,
LE DICT JOUR, justement après digner, messei-
gneurs les consulz, accompagnés de petit nombre
de gens, allarent vers le dict monseigneur le grand
maistre, où estoit le dict monseigneur général du
Lenguedoc, et luy firent présent de ung grand plat
d^argent, surdouré, et deux belles coppes^ des-
quelles Tune estoit faite en couverte, toutes surdou-
rées richement, lesquelles estoyent de valeur de
cinq cens livres; lequel présent le dict seigneur re-
ceust fort gracieusement, et parla aux dits messei-
gneurs consulz et aultres habitans de la police de la
ville et réparations en icelle nécessaires, et leur
promist que en brief le roy pourvoiroit auix ré-
parations y requises; si leur offrist faire tout le bien
et plaisir en ce que la ville le requerroit et adver-
tiroit, et peu après monta à cheval, et s'en alla au
— 41 —
giste à Pezenas, pour raison que avoit aste s'en aller
trouver le pappe Clément VII, qui s'en venoit à
Marseille, en Provence, pour illec soy trouver et as-
sembler avec le roy, ainsi que dessus est dict, et
dont à part en la géographie bicterrienne, par moy
transcripte, à plain estfaicte mention.
Le roy, le xiii^ jour dudict moys d'aoust au
matin, partit de la ville de Narbonne et s'en vint
digner à Caspestaing, et après digner s'en vint en
la dicte ville de Beziers, et luy allarent au devant
messieurs les viguier et juge, consulz, gens de
court, bourgeois , marchans, et de toutz estatz de
la dicte ville, à cheval, en gros nombre, et marcha-
rent en l'ordre suivant :
Premièrement marchoit le seigneur de
SoRGUES, cappitaine des enfans de la ville, accou-
tré bravement de vellours aux colleurs du roy :
jaulne, violet et incarnat, fort découppé, chausses
et porpoint, et le tout doblé de drap d'or, et le col-
let de mesmes , en cappitaine des avanturiers ; au-
près duquel, et le suyvant cinq à cinq, marchoient
trente ou plus gaillards hommes en avanturiers ,
vestuz tous de velours echiquettés , chausses, por-
point et coulet , et une grosse chaîne d'or au col ,
chescun pourtant une espée à deux mains ; et quant
et quant marchoient cent avanturiers accabuziers,
tous accoutrés de velours ou de livrée des colleurs
— 42 —
du roy ; et après tant de avanturiers , picquiers de
mesme livrée, sous une enseigne des colleurs du
dict seigneur faicte expressément ; et après mar-
choient soubz cinq enseignes cinq cens hommes
ou plus, tous acabuziers, picquiers ou alabardiers,
de cinq en cinq, en fort bon ordre, touz accoutrés
de livrée du dict seigneur ou de la royne, blanc,
jaulne et tanné, ou de monseigneur le grand mais-
tre, jaulne, gris et noir. Conséqutivement marchoient
messieurs les officiers et messieurs les consulz de
la dicte ville, à cheval, accompaignés de monsei-
gneur de Bozigues, viguier de Gignac, et de plu-
sieurs aultres gentilshommes des ville et diocèse
de Beziers, gens de robe longue et courte, bour-
geois, merchands et aultres, tant de la dicte ville
que diocèse, en nombre de II c. (i) hommes ou
plus, lesquels, en l'ordre dessus dict, allarent trou-
ver le roy à un quart de lieue de la dicte ville, ve-
nent le chemin de Capestaing.
Et sur ce marcha monseigneur de Clermont ,
lieutenant du dict seigneur en Lenguedoc, accom-
paigné du seigneur d'Arnoye, lieutenant de séné-
chal à Beziers, et de plusieurs aultres gentilshom-
mes, qui se avança et alla trouver le roy plus loing.
Et petit apprés la dicte troppe et compaignie de la
(i) Deux cents
-43-
ville trouva leroy. Et après que le dict seigneur eust
veu marcher le dict cappitaine, enseignes et gens
de pied, et iceulx l'eurent salué à force coups de
accabutz, où le dict seigneur print grand plaisir,
les dicts messieurs officiers , consulz et aultres de
leur compaignie allarent saluer le roy avec toute
humilité ; et là luy feust faicte la arrangue par
le dessus nommé maistre de Puymisson, juge
pour le dict seigneur à Beziers ; après laquelle
arangue le dict seigneur leur respondit qu'il les
remercioit de bon cœur et qu'ils fussent les bien
trouvez. Sur ce point marcha le roy, et d'ung cousté
marcha le roy de Navarre, et à l'aultre le comte de
Sainct Pol et monseigneur le cardinal de Lorraine,
arcevesque de Narbonne, et aussi le dict seigneur
de Clermont, ausquels le roy tinct propos de la
belle assiette de la dicte ville ; et aprez venoient
messieurs les enfans, à sçavoir est : monseigneur
le daulphin, monseigneur le duc d'Orléans et mon-
seigneur le duc d'Angolême; et suyvant tous les
aultres princes et gros seigneurs que j'ay au com-
mencement nommés , et messieurs les officiers
consulz et leur compaignie, où bien prés de là le
roy trouva la gallère de la paroisse Saint- Félix,
équippée de gens avanturiers qui se combattoient
à deux brigantins de Mores, illecques expressément
dressés par messieurs de la ville. Sur quoy le roy
— 44 —
se arresta aulcunement et y print gros plaisir.
Ainsi marcha le dict seigneur avec la troppe jusques
à la porte de la dicte ville Dupont, où estoit dressé
un grand arc triumphant fait à colonnes carrées et
à cornices à l'antique, paint à porphyres et jaspes,
sur lequel au plus haut estoyent les armes du roy,
richement painctes et fort grandes, dans un grand
feston faict de arbres de granatié (i), et au des-
soubz y estoient affixées sur la comice du dict arc
triumphant les armes de la royne, ellevées et riche-
ment painctes, et à chesque carlier les armes de
monseigneur le daulphin et de monseigneur d'Or-
léans ; et par dessus toutes les dictes armes y avoit
ung dicton en lettre italienne où estoit escript en
latin :
FranciscuSj firma Gallorum félicitas.
Au dessoubz des dites armes, et tenent à la cor-
nice du dict arc triumphant, et au milieu d'icelle, y
avoit ung aultre dicton en latin, escript en lettre ita-
lienne :
Proîector noster, aspice, rex,
Et respice faciem populi tui.
Et à chesque cartier du dict arc^ contre les co-
( I ) Granatié , grenadier.
-45 -
lonnes, au dessoubz des armes de messieurs les
daulphin et duc d'Orléans , y avoit ung dicton de
chescun en mesmes lettres :
Imperator, franco francior,
Inîer monarcas augustissimus.
Puis, auprès de chescun desdits dictons, en
chesque Cartier des deux boutz , y avoit en lettre
ytalienne, escript en lengue vulgaire, ce que s'en-
suyt:
Lorsque Alaric , roy de secte infidelle ,
Par Clovis, roy chrestien faict le premier,
Il feust vaincu en guerre fort mortelle,
Et feist ses gens à soy humilier.
Despuis Beziers s'est bien voulu renger,
Soubz cest escu en grand humilité.
Dont, ô mon prince ! bien te vouldrois prier
Qu'en gré te plaise prendre ma voulenté.
0 roy puissant, nostre vray protecteur,
Des francs tuteur, ton hueil vers nous adresse,
De toute grâce le seul distributeur,
De vray amour l'entier auxiliateur,
Et deffenseur des Gauloys par prouesse;
Beziers te faict ores veu et promesse
Que toi seul sys pour prince veus ouyr :
Si te supply comander las que est-ce
Ton bon plaisir, car prest est t'hobeyr.
Encores au dessoubz des armes de la cornice ,
— 4» —
pendans à la comice de l'arc triumphant, y avoit
ung vaisseau d'or painct, duquel issoient troys
borjons (i) de lis, signifiant que les trois enfans de
France cstoient norrys, entretenus et recouvrés par
Alyénor, royne de France , et au moyen de la
alliance de l'empereur frère de la dicte dame, faicte
par son mariage avec le roy, et voloient dire les
dictes figures autant comme lys encor; au dessoubz
estoil cscript, en huict lignes de r)'me croissée :
Ton alliance, ô royne et bonne mère !
Ad elivréz ces trois borjons de France
De la prison , ostaiges de leur père ;
Dont à bon droit l'on te doit révérence.
Réduits les as par la doulce démence
Au domicile royal et paternel ,
Dont te donnons , par grand esjoyssance ,
Gloire, louange, et tout los immortel.
Plusieurs aultres rimes et compositions où les
jeunes gens avoyent fantaisie feurent compousées
à la décoration de la dicte entrée, lesquels, pour
raison de aulcunes contrariétés et parcialité des
alcuns citoyens , restarent à y estre affixés , et les
figures et ystoires sur ce inventées obmises.
Sur l'arc triumphant y avoit un chaffault en
forme d'une tour dressée par géométrie, aysé à
(i) Borjons, bourgeons, rejetons.
— 47 —
lever et descendre par subtil artifice, et de draps
d'or et de soye de diverses colleurs , à l'aspect et
forme du ciel, richement aourné, sur lequel y es-
toient trois jeunes filles en beaulté naturelle super-
latives, et de acoutrement à la Toscane, soigneuse-
ment décorées , et enquores de contenence mieux
exquises ; plus déesses ou espéritz angéliques que
corps féminins par leur resplandicente formosité
et maintien non acoustumé aulx yeux humains, et
des assistens adjugées.
Desquelles icelle du milieu représentoit la ville
de Beziers, vestue d'ung satin jaulne cler citrin, et
plus apparent entre les colleurs, comme l'or entre
les metaulx et le soleil entre les corps célestes, et
la socie (i), vulgairement dite le gauch, entre les
fleurs, laquelle colleur jaulne, selon le blazon des
colleurs, en vertus signifie sapiance, richesse et
magnanimité, et en humanité et amours signifie
jouyssance, prudence et haultesse ; et pour la por-
ter en livrée le bleu et le blanc y sont sur toutes
aultres colleurs mieux séantz , signifiant humble et
loyal jouissant.
La seconde fille , qui estoit à la main droicte ,
estoit nommée Obéissance, vesteue de satin blanc,
blanche colleur et commencement de beaulté et
( I ) Socie , souci.
-48-
joye, et comparée à la lune, et des mélaulx à l'ar-
gent , et des pierres précieuses au diamant et à la
marguerite, et des fleurs au lys et à la rose, et si-
gnifie la personne juste, humble, joyeulx, large et
chaste.
La tierce fille, qu'estoit à la main gauche, estoit
nommée Loyaulté, vestue de satin bleu turquin ,
qu'est colleur moyenne entre l'eau et l'air, et res-
semble au ciel, en pierreries au safir, en fleurs aulx
ambesfoins et ne me oblie mie, en metaulx à l'es-
taing, et en vertus et amours signifie bonté, cor-
toisie, louyaulté et amitié.
Or donc,aproucham le roy et sa suyte de la dicte
porte et arc triumphant, enrichy de ses trois médailles
superlatives aournées des trois colleurs susdites,
blanc, jaulne, bleu, dénotans que Beziers, par
obeyssance, demeure en la prison d'amour au lys
de France, despuys Ciovis, premier roy créstien,
et que à présent par loyaulté avoit elle la jouys-
sance et fruyssion de la présence de son prince
naturel seigneur , descendit du dict arc triumphant
icelle tour où estoyent les dictes filles qui ferma en-
tièrement l'entrée du dict portai tout à coup à
l'aspect du roy, lequel transpassé du veiz (i) at-
tractif et regard plus qu'humain d'icelles, demy
( I ) Veiz , regard — vue — aspect.
— 49 —
ravi, pensant ce estre plus ung songe que chose
naturelle, soudainement se arresta et sa troppe ;
auxquels les dictes trois filles, en luy présentant
par Loyaulté et Obeyssance les clefs de la ville, de
leurs si très déliés goziers et voix sereines , après
les très humbles revérances , protesnantes à terre ,
lui proférarent les versetz suivans :
LOYAULTÉ.
Dans la prison d'amour ferme et constante ,
De toy, mon prince et magnanime roy,
Depuis que feuz en la crestienne loy,
Béziers a eu Loyaulté pour régente.
OBEYSSANCE.
Obeyssance oncques n'en feust absente ,
Incessement avec elle repose,
Ce que ton vueil ( i ) à commander propose ,
Entièrement l'accomplir se contempte.
BEZIERS.
Prince d'honneur en sepdre magnificque ,
Reçois le don que humblement te présente
La cité de Beziers, surtout obeyssante,
Que aultre que à toy de servir ne s'applique.
Sur ce point les quatre premiers consulz de la
(i) Vueilj volonté.
— DO —
ville, pourtans leur robbe et chapperons de livrée
de consulat, se myrent à pied et prindrent le poille
que illèquesavoit esté préparé pour le roy, qu'estoit
de vellours rouge, doblé de taffetas pers (Oet
tout semé de fleurs de lys d'or, et frange desoyede
mesme, lequel mirent sur le roy, et ainsi entra dans
la ville les dits quatre consulz, teste nue, pourtant
le dit poille, et marcha le dict seigneur par la dicte
ville, les rues de laquelle estoient pavées de riches
tapisseries et pardessus couvertes de draps de di-
verses colleurs ; et au milieu des dictes couvertures
de draps pendoyent à grand abundance des festons
de Buysset, dans lesquels estoient les armes du roy,
de la royne, de messieurs le daulphin , duc d'Or-
léans et duc d'Angolesme, et en alcuns y avoit
une salamandre , qu'estoit la devise du roy, et en
aultres le fenix, devise de la royne.
Pas ne veux oublier comme, le roy estant lez le
pont de la dicte ville, icelle ville le salua à gros
coups de gros canons et artillarie en grand nombre,
qui ne cessarent jusque que le dict seigneur feut
entré en icelle ; que pour le grand bruict plus res-
semblait à tonayres que œuvres dccanoniers. L'or-
dre que le dict seigneur tint en marchant par la dicte
ville estoit, oultre grand nombre presque innu-
(i) PerSj bleu.
DI
mérable qui tout ce jour avoient tenu de entrer,
et grand nombre de charriots ; au devant du dict
seigneur marchoient les gentilshommes, seigneurs,
barons et aultres, ses domestiques en grand
nombre, et auprès et devant du dict seigneur
alloit le cardinal de Lorraine, et monseigneur le duc
de Vendosme et le seigneur de Barbezieux. Et in-
continent après merchoit le roy soubz le dictpoille,
et tout auprès d'iceluy messieurs ses enfants sus-
nommés, et le comte de Saint Pol, le seigneur de
Clermont, l'évesque de Lisieulx, grand ausmonier
de France, l'évesque de Paris, et plusieurs aultres
prélats et gros seigneurs; et suyvoient après mes-
sieurs les officiers de la ville, le cinquiesme con-
sul et habitans d'icelle à cheval, et ainsi alla le dict
seigneur jusques à la chapelle de la Trinité là où
feurent messieurs de la grande esglise cathèdralle,
avec leurs croix et reliques, abillès prossessionale-
ment, accompaignès des aultres esglises et couvents
d'icelle ville, lesquels par entiennes et jubilations
ecclésiastiques saluarent le dict seigneur, et de là
s'en entra dans la maison de l'évesque.
Incontinent après, messieurs les officiers, con-
sulz et habitans retournarent hors de la dicte ville
pour saluer la royne et mesdames les deux filles du
roy. Mais tantost après qu'ils feurent lez le pont
de la dicte ville, trouvarent le seigneur de Sorgues,
— 52 —
cappitaine des gens de pied, avec sa troppe susmen-
tionnée, qui sur la plaine au plain de la maladrerie
avoit trouvé la dicte dame, et la saluoyt à grandz
coups de acabutz faisant bruict merveilleux.
Sur ce mesme LitUjIes dicts messieurs officiers,
consulz et habitans saluarent la dicte dame et
mesdames les filles du roy, et firent bien lescanon-
niers et artilleurs des murailles en dehors faisant
bruit impétueulx à coups de gros canons, et ar-
tiilarie, et les accompagnarent jusques au dict por-
tai et arc triumphant, où les dessus nommées trois
filles firent pareil recueil et arangue. Et ainsi les
ditz consuls descendirent et baillarent le poille à la
royne, laquelle estoit dans une litière descouverte,
et suyvoient icelle chescune de mesdames les filles
du roy dans une aultre litière. Le dict poille estoit
de satin blanc doblé de taffetas pers, et semé de
fleurs de lys d'or, et à chesque quarré du poille
les armes dans un escusson de France et d'Espagne
my-parties y estoientaffixées.
A la suyte de laquelle dame estoient mesdames
de Vendosme, de Nevers, la grande seneschalle de
France, madame la grand maistresse, lamareschalle
de Chatillon, et grand nombre de demoiselles sur
acquenées; enquores en y avoit-il trois charriols
chargés de femmes et jeunes damoiselles, etaccom-
paignées comme dessus est dict, allarent descendre
— 53 —
à la dicte maison de l'evesque, où la dicte royne
feust logée avecques le roy, et les aultres dames
aux maisons des environs. Et faut nolter que, pen-
dant que la royne entroit dans la dicte ville, le roy
estoit aux fenestres de la maison episcopalle qui
véist le desduit de l'entrée, et rentrer dans la
dicte ville le dict seigneur de Sorgues et gens de
pied marchant en très bon ordre : où le dict sei-
gneur print grand plaisir.
Ce scier mesme messieurs les consultz et habi-
tans firent présent au roy, royne, messieurs les
enfants et mesdames ses filles, de fruicts et confic-
tures, tant d'Espaigne que de ce pays, à grans abun-
dance, et de bons vins muscats et cleretz.
Le lendemain, qu'estoit le quatorzième jour du
dict moys d'aoust au matin, messieurs les consulz,
accompaignez de plusieurs bourgeois et merchans
de la dicte ville, firent présent au roy de une coppe
d'argent surdourée, au dedans de laquelle il y avoit
ung salinier duquel le creux et le couvert estoit de
crestail, le pied et aultre garniture d'or fort mer-
veilleusement ouvré et garni et aourné tout à l'en-
tour, et par dessus le couvercle et au milieu du
pied, de saffirs, rubis, perles et aultres pierreries
taillées et poussées en forme de fleurs de lys. Le-
quel présent ly feust présenté par maistre Pierre de
Pradines, docteur ez-droits, premier consul, non par
- 54-
maniôre de présent, mais en forme de recognois-
nance de notre prince et naturel seigneur.
Pareillement donnarent à la royne ung bassin
et deux coppes d'argent surdouréz; et à madame
la grand maitresse, femme de monseigneur le grand
maistre de Montmorancy, gouverneur de Lengue-
doc, luy donnarent deux coppes d'argent surdou-
rées'. A messieurs les enfants et mesdames les filles
du roy ne feust faict aulcun présent, pour ce que le
roy l'avoit prohibé pour espargner fraiz et despense
à son pays.
Les presentz susdits constarent en somme uni-
verselle la somme de... (0.
Le mesme jour au matin, le roy, la royne, mes-
sieurs les enfants et mesdames les filles du roy et
toute leur suytte se despartirent du dict Beziers, et
s'en allarent digner à Montblanc, et coucher à Pe-
zenas.
Monsieur le légat et chancellier de France n'en-
tra point dans la ville à cause de la grant suitte de
la cour, mais s'en alla louger à Villeneuve-lez-Be-
ziers, et de là en Agde, où il demeura par aulcuns
jours.
LE ROY, ROYNE et toute la court s'en allarent a
Montpellier, où ils demeurarent huict ou dix jours,
(i) Le manuscrit ne la donne pas.
— 55 —
actendant que le pape se approchast de Marseille,
où devait estre faicte leur assemblée , de laquelle
plus à plain est escript et faicte mention en la Géo-
graphie BiCTERRiENNE par moy compillée.
CE SONT AULCUNS RONDEAULX, RIMES ET VERSETZ
COMPOSÉS POUR LA DICTE ENTRÉE, QUE NE
FEURENT MIS POUR LA CONTRARIÉTÉ D'AULCUNS
HABITANS.
Franciscus, sublime decus, radiantia pergit (i)
Templa quidem, cujus nomen ad astra volât;
Qui bene venisti, salve, my care viator,
Ingrediens nostre limina sancta domus;
Non pigeât duros famis aut toUerasse labores
Frigoris, aut estus, vel sitis atque vie;
Premia pro meritis olim tibi justa dabuntur,
Polliceor promptas in tua vota vices.
Soubz les écussons et armes de France, dictons :
Gallica sceptra vigent, redeunt spectacula Troie.
Domine, salvum fac regem, et exaudi nos in die qua invoca-
verimus te.
(i) On a conservé l'orthographe du manuscrit.
— 56 —
Soubz les écussons et armes de messieurs les
daulphin, duc d'Orléans eld'Angolesme :
Filii tui sicut noville olivarum in circuilu mcnsc tue; Psal.
CXXVII.
Tu, Domine, salvabis nos; Ps. XI".
Datum est de super.
Carpe trophales lauros tua tempora circum, nominis etem
ama superstes erit.
Vouloit-lon aussi dresser ung séjour d'honneur,
auquel eussent esté deux dames, l'une nommée Hu-
milité, et l'aultre République; ung jeune enfant leur
frère nommé Bon Voloir, qui à la requeste de ses
sœurs eust présenté le séjour de honneur au Roy,
disens ces vers.
BON VOLOIR.
Soleil royal, monarque magnanime,
Bon Voloir suis , le cueur de la cité ,
Prest sublimer en triumphe sublime
Le nom très hault sur toutz lés roys le prime.
Vous présentant la dame Humilité ;
La République en généralité
Vous a esleu des sièges le greigneur (i).
Après labeur aurez tranquillité ,
Car vous avez par renom mérité
Lieu immortel , au grand séjour d'honneur.
(i) Greigneur, grandior, plus grand.
-57-
RÉPUBLIQUE.
Mon protecteur, mon naturel seigneur,
Mon roy unique, mon prince de bon ayre ,
Ta majesté , en ce présent repayre ,
Soit bien venu dans le séjour d'honneur.
HUMILITÉ.
Illustrissime de justice amateur.
De cueur très humble , en doulceur et clémence ,
Te saluons , suppliant ta présence
De repouser dans le séjour d'honneur.
Pareillement à la place vouloit-on dresser ung
arbre nommé de bonne renommée chargé de lys,
et au plus hault les armes de France ; et au pied
sérient assîz deux dames : foy et justice; et un peu
avant le dict arbre , y seriont deux aultres dames ,
honneur et vertu, qui eussent dict ces versetz :
HONNEUR.
Par toy, Vertu , qu'es mère de noblesse ,
Est préservé le lys en renommée ;
Foy et justice sont dessoubz la ramée ,
Voyant leur prince en démenant lyesse (i).
( I ) Démener lyesse , se réjouir.
— 58 —
VERTU.
Voyant leur prince non pareil en prouesse,
Trop plus que Hector, ne le grand Charlemaigne ,
N'est-il raison que triumphe en magne
Dedans Béziers, qu'il devoir a prins dréesse.
Aussi vouloit-on dresser ung chafault auprès de
l'arc de la Trinité au plain de la grand esglise , et
dans icelluy mettre douze bergiers et aultant de
jeunes berjerettes acoutrées de taffetas, portans olet-
tes et panetières , dansans les ungs au son des or-
gues et musetes , et les aultres chantans motetz en
orgues et par accord ; et en ce chafault au rabat des
cortines y estre escript ces motetz du Saultier.
luvenes et virgines , senes cum iunioribus , laudent nomen
Domini. Ps. CXLVIII.
In voce infantium et iactantium perfecisti laudem.
Egredimini, filie Syon , et videte regem.
Cantico III.
MERCIER.
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